Philippe Caza
Sortir ?
Les rues semblent vidées de leurs sens, les doubles comme les interdits. Les passants dérogatoires vont la tête basse, comptant leurs pieds, poètes renfrognés. S’ils parlent, c’est balbutiant de cordes vocales flasques. Masqués comme pour un hold-up, ou pour se défendre contre ce soudain apport d’oxygène anxiogène. Le masque, c’est comme le gilet jaune vanté en son temps par Karl Lagerfeld. C’est moche mais ça peut sauver des vies, paraît-il. Soudain, au milieu du boulevard, une femme court – à la manière cliché d’une danseuse classique. On ne peut pas douter qu’elle soit de la classe des mammifères, contrairement aux vraies danseuses classiques qui sont plutôt plates, en général.
Rentrer.
« On ne peut pas consommer grand chose si on reste tranquillement assis à lire des livres. » (Aldous Huxley. Le Meilleur des mondes.)
Que faire d’autre ? Relire Le Mur invisible de Marlen Haushofer, ou revoir le (bon) film qui en a été tiré (Julian Pölsler, 2012).
Lu une page d’Ulysse (pas plus d’une à la fois). « Elle frottait rapidement sa glace à main sur sa camisole de laine contre ses nénés généreux qui ballottaient. » (James Joyce, « Ulysse », Folio, p 144)
Reçu un bouquin de 50 ans d’âge – pas coupé. Donc lu par personne avant moi. Je n’avais pas vu ça depuis longtemps. Question : dois-je le déflorer ? J’ai un coupe-papier (un poignard touareg en miniature). N’est-ce pas une violence ? Un viol ? Mais non, les livres sont faits pour être lus. Question subsidiaire : est-ce que je coupe au fur et à mesure de ma lecture ou bien tout à l’avance, histoire de pouvoir lire sans interruption ? Je choisis une voie médiane : je coupe un chapitre à la fois.