Coton tige

Cécile Da

Mardi 24 mars

Un coton tige. Ça m’arrive en ce moment plusieurs fois dans la journée, mais là c’est avec un simple et bête coton tige. Une fin de journée de confinée, à travailler sans trop penser. Un bon film. Une journée presque normale. Salle de bain, je me lave les dents, je checke le stock de dentifrice, tout va bien. J’ouvre le tiroir d’un geste répété cent, mille fois. Je saisis la mince tige cartonnée aux deux petits embouts de coton et là : dissociation. Ordonnées et abscisses. Le schéma s’affiche dans mon esprit, en 3D, des images se collent, bougent, en vrai générique d’émission scientifique. Les abscisses c’est le temps qui passe. Celui d’avant le coton tige, puis la révolution industrielle, la surconsommation, le règne du coton tige, et le combat du plastique. La courbe continue sur le maintenant, il est dans ma main et le Covid danse, puis elle me dépasse, les usines s’arrêtent, le coton n’arrive plus, les cotons tiges s’arrachent au marché noir, mais non, tout le reste d’abord, le coton tige n’existe plus, tout le monde s’en fout, on a bien d’autres problèmes à résoudre. Les ordonnées me percutent avec tous les autres moi qui vivent dans cet instant d’un coton tige de début de nuit. Un moi délire quelque part avec de la fièvre, un autre hurle parce qu’il n’y a plus de coton tige, une autre manque tellement de tout que le coton tige elle s’en fout, deux autres moi se battent à coup de coton tige et refusent de se laver les dents sous les cris d’une moi qui voudrait vendre ses enfants. Tout s’accélère, je dois me stopper. Qui veut aller loin – et pas trop mal dormir – doit ménager son moi. Alors je respire, profondément. Sans déconner, Cécile. Pour un coton tige ! Inspiration, sentir le carton sous les doigts, le faire rouler doucement. Expiration, sentir le contact du coton dans l’érogène conduit auditif, et goûter l’extrême subversion d’appartenir à l’école du coton tige vs celle de l’auriculaire, parce que l’auriculaire, quand même, c’est pas le pied. Me marrer un peu. Et me coucher en paix jusqu’à la prochaine attaque.