Fragments de Coimbra (5)

Fabrice Schurmans

dans un quadrilatère d’immeubles de huit étages

23/3 –    Par temps de crise, les artistes les mieux en cour, ceux qui en ont les moyens, fuient vers la province. La capitale offre bien des avantages lorsque rien ne vient perturber l’existence de cette honorable société. Un public (plus ou moins) doté qui achète livres et disques, assiste aux concerts et spectacles, des critiques (plus ou moins) bien-veillants, des lieux de prestige où ce petit monde pratique l’entre-soi. Dès l’instant où la bestiole a franchi les Alpes, il devenait évident que la capitale n’échapperait pas long-temps au confinement, voire à la quarantaine. Se remémorant d’autres périodes sombres, ils et elles ont fui avant la fermeture des portes. Sains et saufs en Provence, en Bretagne ou à Belle-Île-en-Mer, ces hommes et ces femmes se ressourcent, composent, rédigent leurs Mémoires. Soulagés d’avoir échappé au sort funeste de la plèbe. Peu importe l’art, la bohème enchaine les truismes. À la journaliste qui flagorne, obséquieuse, tel chanteur, aux textes (relativement) engagés, décrit un quotidien marqué par le repli. Je me lève devant un paysage apaisant, je mange des toasts, j’écris, je pense à mon public. Je téléphone aux miens. Comme je suis symboliquement capital, je donne mon opinion sur la crise. C’est la guerre. Le public souffre. Solidarité. Dans quelques mois, on lui demandera de se presser dans les salles, au public, d’acquérir romans et disques, de participer à la relance du pays. Les artistes résistants compteront alors sur Paris et Vivement dimanche pour remplir les caisses.