Fragments de Coimbra (9)

Fabrice Schurmans

dans un quadrilatère d’immeubles de huit étages

29/3 –    Ces derniers temps, la presse revient sur l’inégalité d’accès des jeunes Européens aux outils informatiques et à l’internet. Les adolescents sont censés travailler à partir de plateformes où leurs professeurs placent exercices et fiches d’explications. Utopie virtuelle par temps de virus. Ou dystopie ? Dans la réalité, vingt-cinq pour cent des élèves portugais resteraient au bord du chemin. Et les autres, qu’assimilent-ils, que comprennent-ils ? Pourquoi ne pas tirer parti de ce moment étrange pour consacrer plus de temps à l’Histoire et à la Philosophie ? Revenir à l’histoire des pandémies afin de saisir les spécificités de celle-ci, revenir à notre rapport à l’autre, à son corps, à la souffrance, à la mort. Suivre le programme à tout prix ou développer une réflexion donnant du sens à l’exceptionnel ? Est-il absurde de profiter du confinement pour interroger le contenu des programmes ? Au hasard, pourquoi l’histoire sociale y est-elle si peu présente ? Les conquêtes sociales découlent de luttes, de grèves, d’insurrections ouvrières, non de la magnanimité de l’État bourgeois et du capitalisme. L’enseigner jetterait à bas  quelques  fictions hégémoniques. Pourquoi ne pas  rappeler que des éducateurs ont payé de leur vie l’invention d’une école libre? Francisco Ferrer osa défier la conception pédagogique autoritaire de Église espagnole. Elle le fera condamner à mort en 1909 au terme d’une parodie de procès. Dans le grand jeu néolibéral, seul le Je importe. Un Je sans histoire. Un Je jouissant des (lointaines) victoires de la gauche en se gaussant  de ces  paresseux   de gauchistes. Un Je amnésique. Comment faire fonctionner le Nous en l’occurrence ? En ce domaine, l’après confinement nous contraindra non à poser des questions (nous les connaissons déjà), mais à proposer des réponses adaptées à notre temps. L’Europe résonne des appels à la réouverture des écoles afin que les parents puissent reprendre le travail. C’est, une fois encore, faire preuve de mépris relativement au corps enseignant. Le discours dominant les ramène au statut de surveillants qualifiés, chargés de tenir notre progéniture de 8h à 17h. Or, la bestiole obligera à repenser l’espace, le nombre d’élèves par classe, la pédagogie. Et si l’on parvient à forcer le rêve, les programmes. Face aux apories de l’e-learning si cher aux tenants de l’idéologie libérale, l’instit et le prof regagneront leur juste place.

Irremplaçable.