Fragments lotois

Stéphane Hébrard

Je vais faire les courses au supermarché situé à un kilomètre de chez moi. Sur le parking: très peu de voitures. A l’entrée, tout pour le jardinage: bacs, outils, terreau.

A l’intérieur, rien n’a changé. Si, des livres et des jeux de plateau sont timidement mis en avant.

Je pousse mon caddie et je regarde autour de moi: les masques que portent certains clients font désormais hurler l’absurdité, insidieuse jusque-là, qui enveloppe les rayons d’un supermarché.

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Est-ce que, comme moi, les autres clients ont l’impression d’être dans un mélange de film de zombies, et d’un film catastrophe hollywoodien, mais au Leclerc de Pradines ?

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Ne pas porter ses mains à sa bouche pour humecter ses doigts et ouvrir les sacs plastiques au rayon fruits et légumes. Je prends des kiwis. C’est écolo ça, les kiwis, en cette saison?

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En rentrant, en voiture, j’aperçois un homme (je le connais, il est syndiqué à Force Ouvrière), muni d’une pince télescopique. Il ramasse les papiers sur le bord de la route et les met dans un sac plastique. Il porte un masque, comme si de rien n’était. Ce virus nous a fait muter anthropologiquement à très grande vitesse.

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En rentrant, sachant que mes enfants doivent retourner en ville, je leur propose de choisir celui qu’ils préfèrent dans un assortiment de masques de bricolage.

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Une aire d’autoroute. Arche du Frontonnais. Un Quick, un Paul, une supérette. Autant de déserts juxtaposés. Seules les toilettes sont ouvertes. Une unique machine à café en fonctionnement. La vie ne tient plus qu’à un fil, ici. Je ressors. Une voiture sur le parking: la mienne. Des affiches, des panneaux qui flottent au vent. Personne pour les regarder. Ce parking évoque une plage un soir d’été. On a bien profité, mais il fallait rentrer au camping. Ne restent que les déchets.

Le hurlement des camions, sur la chaussée, un peu plus loin en hauteur.

Tout ça ne m’est pas étranger. Au contraire, j’ai l’impression de faire coïncider ma vie avec un rêve ancien. Le vertige disparaît, tout se remet à sa place.