Le monde au balcon

Philippe Caza

Assis sur mon balcon entre deux poules d’eau révolutionnaires dépoilées (un cadeau de l’évêque de Marmande), j’allume un cigare, je tire trois bouffées et je le jette, à peine entamé, par dessus le bastingage. J’entends un cri. Me penchant prudemment, je constate qu’il a mis le feu au chapeau de Dolorès Quartefigue, la diva du rivage. Mais que fait-elle dehors, par ce temps de chien ?

D’en bas, elle me crie :

— On a enterré mon grand-père. Enfin… D’abord on l’a enterré, puis, pour mettre toute la famille d’accord, on l’a déterré et on l’a fait incinérer. Comme la tombe était encore ouverte, on y a répandu ses cendres. Et maintenant mon chapeau brûle !

— Désolé, mes condoléances, lui réponds-je du haut de mon balcon.

Je décide d’arrêter le cigare. Mais ma cigarette électronique a des fuites. J’appelle un plombier-chauffagiste. Il me transfère à un marin-pêcheur informaticien. Qui appelle sa dépanneuse Georgette. Elle refuse d’intervenir pour cause de confinement (mais qu’est-ce qu’ils ont tous, avec leur confinement ?)

J’allume la télé. C’est un débat sur ABC+ via Skype.

A est spiritualiste. Il croit à des tas de trucs improbables : l’esprit, les esprits, la transcendance, Platon, Dieu, les anges, une vie post-mortem, le paradis, l’enfer, l’amour, le péché… Il est super angoissé.

B est matérialiste. Il s’ennuie un peu mais il boit des coups en terrasse avec des amis. Du moins c’est ce qu’il faisait avant les attentats des terrasses à la kalachnikov et le confinement qui s’ensuivit. Ça ne s’est pas arrangé depuis.

C est nihiliste. Ou nihil tout court : il est mort, étouffé par son masque.