Tina (3)

Lili G.
Suite et fin

Alors oui, finalement, Tina, au fond d’elle, elle l’aimait bien ce virus, il la vengeait un peu. Et puis, il avait quelque chose de familier, elle se retrouvait en lui. Comme d’elle, les gens se méfiaient de lui, comme pour elle les gens inventaient des tas d’histoires sur son compte. Il faisait le vide autour de lui, cette même impression de vide qu’elle avait ressentie autour d’elle quand elle était arrivée dans son école en septembre. Tina aussi, elle avait perçu le poids de la distanciation sociale quand personne ne s’était assis à côté d’elle le jour de la rentrée ou quand personne n’était venu à son anniversaire malgré les petites cartes d’invitation qu’elle avait recopiées à la main. Les uns avaient décliné parce qu’ils avaient poney, les autres prétextant une réunion de famille intempestive et la majorité n’avait même pas pris la peine d’inventer une excuse. Elle finissait par se dire qu’elle aussi était une sorte de sale petit virus qui réveillait les peurs primaires et la méfiance de ce monde.

Quand elle s’était bien repue de tout ce spectacle affligeant mais jouissif, Tina sautait de son banc et regagnait tranquillement son chez elle. Et chaque fois qu’elle franchissait la grille rouillée, elle était envahie par le même sentiment diffus. Ce confinement qui déstabilisait tant la planète, il n’avait rien de nouveau pour elle, cela faisait onze ans qu’elle était confinée sur ce parking délabré auquel la mairie avait donné le doux nom « d’aire de stationnement pour les gens du voyage ». Et tous les jours à dix-huit heures, quand ses baskets foulaient les gravillons qui avaient tant de fois écorché ses genoux et qu’elle regardait l’essieu rouillé et les pneus craquelés de sa caravane, elle se disait que les effluves des voyages avaient déserté depuis bien longtemps son horizon et celui de ses proches. Seul son père parfois dans la douceur des soirs d’été clamait à qui voulait l’entendre « Nous sommes des nomades, Tina, libres et sans attaches !!». Elle n’y croyait pas trop Tina mais elle aimait bien qu’il le lui rappelle parfois.